Alternant des réflexions théoriques et méthodologiques et des études de cas sur la difficulté de transposer une particularité linguistique locale en un autre système sociolinguistique, nous abordons dans cette étude un exemple extrêmement original de variation socioculturelle. Né dans les cités et surtout parlé par les jeunes, le verlan constitue la manifestation la plus évidente d’interpénétration de trois variations linguistiques, sociale, géographique et situationnelle à la fois. Son caractère hétéroclite nous a conduit à nous demander s’il serait possible de transférer dans une langue étrangère, notamment en italien, ce phénomène linguistique typiquement français. Peut-on traduire la variation socioculturelle d’une langue ? Notamment, est-il possible de traduire un “argot à clé” ? Comment les traducteurs et les dictionnaires bilingues négocient-ils l’adaptation nécessaire à une réalité sociolinguistique spécifique de la France ? L’analyse des versions italiennes des romans de Faïza Guène permet de constater que différents procédés, plus ou moins orthodoxes (omission d’informations, neutralisation du registre, effacement de la connotation, parfois même de la dénotation), sont adoptés pour éluder la difficulté de traduction de ce phénomène original et exclusivement français qu’est le verlan. Les maladresses dans les traductions des romans analysés sont dues au fait que les traducteurs ne tiennent pas compte des changements sociolinguistiques advenus en français et en italien (évolution de la dimension variationnelle de chaque langue) et de l’évolution historique et sociale de chaque pays (immigration datée en France, phénomène récent en Italie). Les traducteurs littéraires, souvent incapables de reconnaître la « valeur stylistique » des mots en verlan, ont ainsi la plupart du temps employé un traduisant d’italien standard pour rendre le verlan, en produisant un nivellement expressif du texte cible. Cette analyse nous a également permis de constater que la consultation des dictionnaires bilingues est généralement insatisfaisante. Bien que l’on puisse relever l’élargissement de leur nomenclature concernant l’intégration d’entrées non conventionnelles (notamment dans le Garzanti Francese), les traduisants italiens proposés correspondent à des synonymes intralinguaux de registre standard (ex. « meuf » = ragazza). Ce choix maladroit engendre la perte de la connotation particulière de ces « mots à l’envers » relevée dans les traductions examinées. La traduction du verlan reste un véritable défi parce que le traducteur doit tenir compte de facteurs non seulement linguistiques, mais aussi sociaux et subjectifs. Cependant, la tâche peut toutefois être énormément facilitée si la traduction s’opère comme un transfert voire comme une mise en correspondance des traits variationnels, diastratiques et diaphasiques, du verlan avec les traits variationnels, diaphasiques et diatopiques, du « linguaggio giovanile » italien. La perte des connotations relevée dans les textes et dans les dictionnaires consultés pourra ainsi probablement être évitée.

Traduire en italien la variation socioculturelle du français : le verlan et "il linguaggio giovanile"

ZOTTI, VALERIA
2010

Abstract

Alternant des réflexions théoriques et méthodologiques et des études de cas sur la difficulté de transposer une particularité linguistique locale en un autre système sociolinguistique, nous abordons dans cette étude un exemple extrêmement original de variation socioculturelle. Né dans les cités et surtout parlé par les jeunes, le verlan constitue la manifestation la plus évidente d’interpénétration de trois variations linguistiques, sociale, géographique et situationnelle à la fois. Son caractère hétéroclite nous a conduit à nous demander s’il serait possible de transférer dans une langue étrangère, notamment en italien, ce phénomène linguistique typiquement français. Peut-on traduire la variation socioculturelle d’une langue ? Notamment, est-il possible de traduire un “argot à clé” ? Comment les traducteurs et les dictionnaires bilingues négocient-ils l’adaptation nécessaire à une réalité sociolinguistique spécifique de la France ? L’analyse des versions italiennes des romans de Faïza Guène permet de constater que différents procédés, plus ou moins orthodoxes (omission d’informations, neutralisation du registre, effacement de la connotation, parfois même de la dénotation), sont adoptés pour éluder la difficulté de traduction de ce phénomène original et exclusivement français qu’est le verlan. Les maladresses dans les traductions des romans analysés sont dues au fait que les traducteurs ne tiennent pas compte des changements sociolinguistiques advenus en français et en italien (évolution de la dimension variationnelle de chaque langue) et de l’évolution historique et sociale de chaque pays (immigration datée en France, phénomène récent en Italie). Les traducteurs littéraires, souvent incapables de reconnaître la « valeur stylistique » des mots en verlan, ont ainsi la plupart du temps employé un traduisant d’italien standard pour rendre le verlan, en produisant un nivellement expressif du texte cible. Cette analyse nous a également permis de constater que la consultation des dictionnaires bilingues est généralement insatisfaisante. Bien que l’on puisse relever l’élargissement de leur nomenclature concernant l’intégration d’entrées non conventionnelles (notamment dans le Garzanti Francese), les traduisants italiens proposés correspondent à des synonymes intralinguaux de registre standard (ex. « meuf » = ragazza). Ce choix maladroit engendre la perte de la connotation particulière de ces « mots à l’envers » relevée dans les traductions examinées. La traduction du verlan reste un véritable défi parce que le traducteur doit tenir compte de facteurs non seulement linguistiques, mais aussi sociaux et subjectifs. Cependant, la tâche peut toutefois être énormément facilitée si la traduction s’opère comme un transfert voire comme une mise en correspondance des traits variationnels, diastratiques et diaphasiques, du verlan avec les traits variationnels, diaphasiques et diatopiques, du « linguaggio giovanile » italien. La perte des connotations relevée dans les textes et dans les dictionnaires consultés pourra ainsi probablement être évitée.
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