T. J. Reed, dans son étude Light in Germany, rappelle que le rapprochement entre Lumières et Allemagne apparaît couramment comme un paradoxe. L’auteur et le penseur idéal pour démanteler ce préjugé est Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), admirablement présenté ici par Jean Mondot. Il faut préciser qu’une excellente connaissance des Lumières est indispensable pour situer Lichtenberg, maitre de la forme brève, dans les grands courants intellectuels et philosophiques. J. Mondot est, depuis plusieurs années, un des plus grands spécialistes des Lumières a la fin du 18e siècle en Allemagne, et cette compétence n’apparaît pas ici seulement dans la conclusion («Lichtenberg et les Lumières», p. 210-233), mais dans la présentation générale, à la fois captivante et rigoureuse, d’un auteur complexe, lu pour ce qu’il n’avait pas destiné à la publication, ses cahiers intimes, ses brouillons, plus que pour ce qu’il avait vraiment écrit pour le public. J. Mondot avait mis en évidence, en 2001 déjà, dans son introduction au volume collectif Lecture d’une oeuvre. Les aphorismes de Lichtenberg, que seule l’unité entre les deux versants, publié et non publié, de l’oeuvre du philosophe de Göttingen compose «une figure d’intellectuel d’une étonnante modernité». Ce choix de saisir l’oeuvre dans sa totalité est réalisé dans le présent petit livre de la façon la plus convaincante. Les citations de Lichtenberg sont abondantes, tirées aussi bien de l’oeuvre imprimée de l’auteur que des brouillons ; beaucoup de citations – celles des pages 82-84 et de p. 211 par exemple («Doute de tout au moins une fois et serait-ce même du principe deux fois deux font quatre», K 303) – sont absentes de la traduction la plus recente de Lichtenberg, Lemiroir de l’âme de Charles Le Blanc. Quelques passages présentés pour la première fois au lecteur français appartiennent a des pages inédites du fonds Lichtenberg de la Bibliothèque Universitaire de Göttingen (p. 108, par exemple). Les traductions fautives sont tacitement corrigées (par exemple le fragment E 230, p. 141 et Miroir de l’âme, p. 261). D’après l’A., le dénominateur commun aux textes lichtenbergiens, publiés ou non, serait «le principe d’ironie» (p.109). L’ironie est, de fait, une des caractéristiques saillantes dans l’oeuvre d’un auteur qui, comme le rappelle le chapitre «Origines et succès d’une écriture», a charmé les plus grands auteurs et philosophes. Il n’en était pas moins délicat et malaisé de reproduire ce principe en respectant ses limites dans la tenue et dans la finesse du texte lichtenbergien, mais ces traductions admirables le font, tout en rendant compte de l’épaisseur conceptuelle du texte. Le livre part du Lichtenberg polemiste, très apprécié en tant que tel par ses contemporains, notamment depuis la querelle sur la physiognomonie. Dans les chapitres 5 et 6, J. Mondot prend en considération la biographie de Lichtenberg, ses rapports avec ses contemporains, ses attitudes face à la littérature et contre «l’exaltation nationale», ses considérations politiques (avant et après la Révolution) et religieuses. Lichtenberg est présenté dans son temps et dans son milieu professionnel, l’Université Georgia Augusta de Göttingen. Ce choix méthodologique marque tout le livre, à partir de l’analyse des réflexions de Lichtenberg en matière de «connaissance des hommes» (chap. 1), race et religion, d’éducation, sans oublier «le corps, les femmes et l’amour» («Anthropologies lichtenbergiennes», chap. 2). Le dernier chapitre (le chap. 7, «Savoirs et Lumières») rend compte des choix methodologiques, soutenus par une argumentation des plus serrées, qui ne perd jamais de vue les procedes d’écriture lichtenbergiens. Le chapitre 3 joint de manière significative dès le titre «Connaissance de soi et modes d’écritures». De ce fait le livre, publié dans la collection dirigée par Michel Espagne, représente un tournant par rapport à la tradition qui considérait Lichtenberg comme un précurseur du Romantisme. En re...

Jean Mondot, Georg Christoph Lichtenberg ou les Lumières continuées, Paris, Éditions Belin, coll. «Voix allemandes», 2008, 240 p / G. Cantarutti. - In: DIX-HUITIÈME SIÈCLE. - ISSN 0070-6760. - STAMPA. - 44:(2012), pp. 720-721.

Jean Mondot, Georg Christoph Lichtenberg ou les Lumières continuées, Paris, Éditions Belin, coll. «Voix allemandes», 2008, 240 p.

CANTARUTTI, GIULIA
2012

Abstract

T. J. Reed, dans son étude Light in Germany, rappelle que le rapprochement entre Lumières et Allemagne apparaît couramment comme un paradoxe. L’auteur et le penseur idéal pour démanteler ce préjugé est Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), admirablement présenté ici par Jean Mondot. Il faut préciser qu’une excellente connaissance des Lumières est indispensable pour situer Lichtenberg, maitre de la forme brève, dans les grands courants intellectuels et philosophiques. J. Mondot est, depuis plusieurs années, un des plus grands spécialistes des Lumières a la fin du 18e siècle en Allemagne, et cette compétence n’apparaît pas ici seulement dans la conclusion («Lichtenberg et les Lumières», p. 210-233), mais dans la présentation générale, à la fois captivante et rigoureuse, d’un auteur complexe, lu pour ce qu’il n’avait pas destiné à la publication, ses cahiers intimes, ses brouillons, plus que pour ce qu’il avait vraiment écrit pour le public. J. Mondot avait mis en évidence, en 2001 déjà, dans son introduction au volume collectif Lecture d’une oeuvre. Les aphorismes de Lichtenberg, que seule l’unité entre les deux versants, publié et non publié, de l’oeuvre du philosophe de Göttingen compose «une figure d’intellectuel d’une étonnante modernité». Ce choix de saisir l’oeuvre dans sa totalité est réalisé dans le présent petit livre de la façon la plus convaincante. Les citations de Lichtenberg sont abondantes, tirées aussi bien de l’oeuvre imprimée de l’auteur que des brouillons ; beaucoup de citations – celles des pages 82-84 et de p. 211 par exemple («Doute de tout au moins une fois et serait-ce même du principe deux fois deux font quatre», K 303) – sont absentes de la traduction la plus recente de Lichtenberg, Lemiroir de l’âme de Charles Le Blanc. Quelques passages présentés pour la première fois au lecteur français appartiennent a des pages inédites du fonds Lichtenberg de la Bibliothèque Universitaire de Göttingen (p. 108, par exemple). Les traductions fautives sont tacitement corrigées (par exemple le fragment E 230, p. 141 et Miroir de l’âme, p. 261). D’après l’A., le dénominateur commun aux textes lichtenbergiens, publiés ou non, serait «le principe d’ironie» (p.109). L’ironie est, de fait, une des caractéristiques saillantes dans l’oeuvre d’un auteur qui, comme le rappelle le chapitre «Origines et succès d’une écriture», a charmé les plus grands auteurs et philosophes. Il n’en était pas moins délicat et malaisé de reproduire ce principe en respectant ses limites dans la tenue et dans la finesse du texte lichtenbergien, mais ces traductions admirables le font, tout en rendant compte de l’épaisseur conceptuelle du texte. Le livre part du Lichtenberg polemiste, très apprécié en tant que tel par ses contemporains, notamment depuis la querelle sur la physiognomonie. Dans les chapitres 5 et 6, J. Mondot prend en considération la biographie de Lichtenberg, ses rapports avec ses contemporains, ses attitudes face à la littérature et contre «l’exaltation nationale», ses considérations politiques (avant et après la Révolution) et religieuses. Lichtenberg est présenté dans son temps et dans son milieu professionnel, l’Université Georgia Augusta de Göttingen. Ce choix méthodologique marque tout le livre, à partir de l’analyse des réflexions de Lichtenberg en matière de «connaissance des hommes» (chap. 1), race et religion, d’éducation, sans oublier «le corps, les femmes et l’amour» («Anthropologies lichtenbergiennes», chap. 2). Le dernier chapitre (le chap. 7, «Savoirs et Lumières») rend compte des choix methodologiques, soutenus par une argumentation des plus serrées, qui ne perd jamais de vue les procedes d’écriture lichtenbergiens. Le chapitre 3 joint de manière significative dès le titre «Connaissance de soi et modes d’écritures». De ce fait le livre, publié dans la collection dirigée par Michel Espagne, représente un tournant par rapport à la tradition qui considérait Lichtenberg comme un précurseur du Romantisme. En re...
2012
Jean Mondot, Georg Christoph Lichtenberg ou les Lumières continuées, Paris, Éditions Belin, coll. «Voix allemandes», 2008, 240 p / G. Cantarutti. - In: DIX-HUITIÈME SIÈCLE. - ISSN 0070-6760. - STAMPA. - 44:(2012), pp. 720-721.
G. Cantarutti
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