Incertitude, ambivalence et neutralité: un fil d'Ariane dans "Tempo di Roma" d'Alexis Curvers

"Tempo di Roma" d'Alexis Curvers est une oeuvre qui a induit les critiques à des réflexions sur l'exil, sur l' éducation par l'art, sur l'inter-culturalité, sur l' émigration ; dans la complexité de ce texte, une autre facette me parait revêtir aussi de l'importance : le rapport à l'incertitude. C'est un fil d'Ariane pour la compréhension du texte et de ce qu'il recèle.L'incertitude semble s'afficher - pour le protagoniste - en Italie. Tout récemment un professeur italien, Giulio Ferroni, a avancé une nouvelle lecture de Macchiavelli en focalisant l'incertitude avec laquelle celui-ci avait eu à se confronter et qui prenait forme dans une Italie «sanza capo, sanza ordine, battuta, spogliata, lacera» (chapitre XXVI du "Principe"). Machiavel voit dans la politique le remède essentiel pour parvenir à sortir du problème; cependant, à lire cet essai, on comprend que la façon d'approcher les choses et la vie, de vivre les inconvénients et d'en trouver les remèdes est restée la même aussi dans l'Italie de Curvers. C'est que les italiens sont devenus, avec le temps, eux-mêmes des « politiciens » ; ils possèdent la « vertu de savoir accepter les forces extérieures, de faire coexister les contraires, de vivre le pire et de garder l'espoir.Le protagoniste de "Tempo di Roma" raconte comment il cherche à apprendre ce machiavélisme devenu populaire, cet art de vivre qui se déploie à Rome. Et il le fait dans un cadre qui parait être le même qu'à l'époque de Machiavel: Rome dévoile une société instable, à peine sortie de la guerre, sans queue ni tête, pauvre, battue. Cependant, c'est là que l'angoisse se présente à lui aux bras du bonheur. Le monde se montre dans sa duplicité : dans les statues baroques « dont toutes les attitudes proclament la plus exubérante félicité et qui respirent cependant une angoisse inexplicable », alors que, par ailleurs, le nom de Rome éveillait déjà en lui « vénération », « angoisse » et « bonheur ». Ainsi, un coeur « mordu affreusement » accueille le lecteur dès les premières lignes. Mon propos est celui de suivre ce fil d'Ariane pour montrer que Jimmy n'a pas de choix possible ne parvenant pas à sortir d'un système binaire qui est le sien, mais qui est surtout celui refoulé de son pays. L'incertitude entre deux - retrouvée au fil de la lecture - est conjoncturelle et structurelle, c'est-à-dire qu'elle touche tout autant aux événements qu'au discours. Elle devient l'expression d'une ambivalence (dans toutes ses expressions : affective, volitive, et intellective) dans laquelle le protagoniste baigne et qui touche aussi son rôle de narrateur.