Le patrimoine littéraire et culturel européen s’est constitué, à travers les siècles, par des procès de communication interlinguistique et interculturelle. L’importance de la pratique de la traduction dans ce processus permet d’opposer à la maxime traduttore traditore, désormais surannée, la plus véridique traduzione tradizione (traduction tradition). Dans une acception plus générale, cette formule souligne l’importance d’une activité établie depuis longtemps et enracinée dans tous les pays dont cette revue veut explorer les cultures; dans une acception plus limitée, elle rappelle un des deux pôles de la dialectique qui caractérise la pratique même de la traduction, constamment partagée entre tradition et innovation (pratiques traductionnelles de confirmation du canon littéraire d’un côté, pratiques innovatrices – dans le choix des textes à traduire, dans la stratégie traductive adoptée – de l’autre). À plusieurs époques de l’histoire littéraire européenne, la traduction a facilité le passage de traditions et de courants littéraires entre des langues différentes, en contribuant par cela à innover et à modifier de manière substantielle les cultures dans laquelle elle a été pratiquée. Des exemples classiques de cette tendance peuvent être trouvés déjà dans l’imitatio latine des textes grecs et dans l’influence de la Bible luthérienne sur le développement de la langue allemande; plus récemment, il est possible de penser à l’ouverture vers l’“étranger” du mouvement romantique (Berman 1984), au rôle de la traduction dans la diffusion des idées des avant-gardes dans les revues du début du siècle dernier (Gubert 2003) ou à une pratique singulière telle la création de “traductions fictives”, utilisées comme dispositifs de planification culturelle (Toury 2005). L’augmentation des contacts économiques et l’importance accrue des moyens de communication ont donné lieu, à partir de la deuxième moitié du vingtième siècle, à une augmentation parallèle, et significative, du nombre de traductions publiées – comme l’indiquent les données statistiques de l’Index translationum établi par l’UNESCO. Si cette augmentation quantitative est indiscutable (on traduit de plus en plus et à partir d’un nombre de langues qui ne cesse pas de progresser), est-il possible d’en mesurer les effets sur le système littéraire européen, à la lumière de la théorie des polysystèmes telle qu’elle est définie par Itamar Even-Zohar (1979, 1990)? Où faut-il situer (et est-il possible de la situer avec exactitude?) la pratique récente de la traduction, à l’intérieur de la dialectique signalée plus haut? La traduction est-elle encore une tradition, ou plutôt une subversion? Quel est, enfin, le rôle que l’activité traductive joue à l’intérieur d’un macro-polysystème complexe comme la littérature européenne? La traduction a souvent été comparée à une porte ouverte sur l’Autre, une image qui nous permet de prendre en compte plusieurs approches possibles à la question des influences mutuelles parmi les différents systèmes littéraires nationaux. La première section («Inclusion») recueille des contributions basées sur l’entrée (inclusion, assimilation) de concepts, œuvres littéraires, auteurs dans un système littéraire donné, en étudiant la façon dans laquelle cette inclusion contribue à former les littératures nationales; la deuxième section («Dissémination») réunit des articles centrés sur la sortie (diffusion), qui examinent les mouvements centrifuges de concepts, auteurs, ou œuvres qui, à partir d’un polysystème national, se sont diffusés à l’extérieur, sur la scène européenne; une troisième section («Contamination») reste sur le pas de la porte, en recueillant les contributions qui s’interrogent sur la traduction en tant que mouvement à double sens, un mouvement (traductif mais aussi scriptural) qui conduit au plurilinguisme, au syncrétisme linguistique et à l’échange mutuelle entre les langues.

E. Monti, F. Regattin (2006). RiLUnE n. 4 – Traduction et tradition? Parcours dans le polysystème littéraire européen. BOLOGNA : CLUEB.

RiLUnE n. 4 – Traduction et tradition? Parcours dans le polysystème littéraire européen

MONTI, ENRICO;REGATTIN, FABIO
2006

Abstract

Le patrimoine littéraire et culturel européen s’est constitué, à travers les siècles, par des procès de communication interlinguistique et interculturelle. L’importance de la pratique de la traduction dans ce processus permet d’opposer à la maxime traduttore traditore, désormais surannée, la plus véridique traduzione tradizione (traduction tradition). Dans une acception plus générale, cette formule souligne l’importance d’une activité établie depuis longtemps et enracinée dans tous les pays dont cette revue veut explorer les cultures; dans une acception plus limitée, elle rappelle un des deux pôles de la dialectique qui caractérise la pratique même de la traduction, constamment partagée entre tradition et innovation (pratiques traductionnelles de confirmation du canon littéraire d’un côté, pratiques innovatrices – dans le choix des textes à traduire, dans la stratégie traductive adoptée – de l’autre). À plusieurs époques de l’histoire littéraire européenne, la traduction a facilité le passage de traditions et de courants littéraires entre des langues différentes, en contribuant par cela à innover et à modifier de manière substantielle les cultures dans laquelle elle a été pratiquée. Des exemples classiques de cette tendance peuvent être trouvés déjà dans l’imitatio latine des textes grecs et dans l’influence de la Bible luthérienne sur le développement de la langue allemande; plus récemment, il est possible de penser à l’ouverture vers l’“étranger” du mouvement romantique (Berman 1984), au rôle de la traduction dans la diffusion des idées des avant-gardes dans les revues du début du siècle dernier (Gubert 2003) ou à une pratique singulière telle la création de “traductions fictives”, utilisées comme dispositifs de planification culturelle (Toury 2005). L’augmentation des contacts économiques et l’importance accrue des moyens de communication ont donné lieu, à partir de la deuxième moitié du vingtième siècle, à une augmentation parallèle, et significative, du nombre de traductions publiées – comme l’indiquent les données statistiques de l’Index translationum établi par l’UNESCO. Si cette augmentation quantitative est indiscutable (on traduit de plus en plus et à partir d’un nombre de langues qui ne cesse pas de progresser), est-il possible d’en mesurer les effets sur le système littéraire européen, à la lumière de la théorie des polysystèmes telle qu’elle est définie par Itamar Even-Zohar (1979, 1990)? Où faut-il situer (et est-il possible de la situer avec exactitude?) la pratique récente de la traduction, à l’intérieur de la dialectique signalée plus haut? La traduction est-elle encore une tradition, ou plutôt une subversion? Quel est, enfin, le rôle que l’activité traductive joue à l’intérieur d’un macro-polysystème complexe comme la littérature européenne? La traduction a souvent été comparée à une porte ouverte sur l’Autre, une image qui nous permet de prendre en compte plusieurs approches possibles à la question des influences mutuelles parmi les différents systèmes littéraires nationaux. La première section («Inclusion») recueille des contributions basées sur l’entrée (inclusion, assimilation) de concepts, œuvres littéraires, auteurs dans un système littéraire donné, en étudiant la façon dans laquelle cette inclusion contribue à former les littératures nationales; la deuxième section («Dissémination») réunit des articles centrés sur la sortie (diffusion), qui examinent les mouvements centrifuges de concepts, auteurs, ou œuvres qui, à partir d’un polysystème national, se sont diffusés à l’extérieur, sur la scène européenne; une troisième section («Contamination») reste sur le pas de la porte, en recueillant les contributions qui s’interrogent sur la traduction en tant que mouvement à double sens, un mouvement (traductif mais aussi scriptural) qui conduit au plurilinguisme, au syncrétisme linguistique et à l’échange mutuelle entre les langues.
2006
206
9788849129885
E. Monti, F. Regattin (2006). RiLUnE n. 4 – Traduction et tradition? Parcours dans le polysystème littéraire européen. BOLOGNA : CLUEB.
E. Monti; F. Regattin
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