« J’ai écrit plus de quarante-cinq livres », affirmait Le Corbusier en 1956. Ce chiffre ne manque pas de nous étonner pour un architecte dont on connaît l’emploi du temps bien rempli. Ce qui surprend moins, c’est qu’à cette date, aucun de ses livres n’avait encore été traduit en italien. L’analyse de la diffusion tardive, en italien, de l’œuvre écrite de Le Corbusier – les premières traductions seront publiées entre le printemps 1944 et l’automne 1945 – démontre que ces initiatives résultaient d’une forme de « résistance » et, comme cela s’était produit avec l’organicisme, elles avaient pour fonction de servir la cause de la reconstruction culturelle et morale de l’Italie postfasciste. Leur publication s’inscrivait dans ce processus de « continuité » avec le paradigme moderne, dont l’intelligentzia des architectes italiens s’était fait, à l’époque, l’interprète. Au cours des deux décennies suivantes le rythme des traductions augmente sensiblement mais, le climat politique ayant changé, les motivations des éditeurs n’ont plus grand-chose à voir avec l’esprit militant qui en avait été précédemment le moteur. Les décisions concernant la forme des ouvrages et leur date de sortie étaient souvent prises par Le Corbusier lui-même qui en contrôlait ainsi les retombées médiatiques. Une nouvelle génération de traductions relevant d’un engagement critique, apparaîtra après la mort de l’architecte, en 1965. Sous de nombreux angles, l’œuvre écrite de Le Corbusier apparaît aussi complexe que son œuvre architecturale : par la diversité de sa production (livres, revues, pamphlets, recueils de conférences, articles de presse, etc.) ; par le lien si caractéristique entre texte et dessin, essentiel dans la mise en œuvre de sa stratégie de communication ; par les manipulations qu’il effectue sans cesse sur ses textes, en les reprenant pour les réinsérer dans de nouveaux contextes, stratégie délibérée qui produira un effet labyrinthique au sein des différentes éditions et rééditions. La variété de cette production a sans doute favorisé sa diffusion rapide dans différentes langues et même si la question des droits d’auteur a pu freiner certaines traductions, cet argument ne suffirait pas à expliquer le retard pris par l’Italie. Dans le cas de l’Italie, sa diffusion précoce avait sans douté été favorisée par la familiarité avec la langue française des architectes nés à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. La tendance s’inversera dans la seconde moitié des années Quarante.
M.Casciato (2010). La réception des livres de Le Corbusier en Italie. PARIS : Éitions de la Villette.
La réception des livres de Le Corbusier en Italie
CASCIATO, MARISTELLA
2010
Abstract
« J’ai écrit plus de quarante-cinq livres », affirmait Le Corbusier en 1956. Ce chiffre ne manque pas de nous étonner pour un architecte dont on connaît l’emploi du temps bien rempli. Ce qui surprend moins, c’est qu’à cette date, aucun de ses livres n’avait encore été traduit en italien. L’analyse de la diffusion tardive, en italien, de l’œuvre écrite de Le Corbusier – les premières traductions seront publiées entre le printemps 1944 et l’automne 1945 – démontre que ces initiatives résultaient d’une forme de « résistance » et, comme cela s’était produit avec l’organicisme, elles avaient pour fonction de servir la cause de la reconstruction culturelle et morale de l’Italie postfasciste. Leur publication s’inscrivait dans ce processus de « continuité » avec le paradigme moderne, dont l’intelligentzia des architectes italiens s’était fait, à l’époque, l’interprète. Au cours des deux décennies suivantes le rythme des traductions augmente sensiblement mais, le climat politique ayant changé, les motivations des éditeurs n’ont plus grand-chose à voir avec l’esprit militant qui en avait été précédemment le moteur. Les décisions concernant la forme des ouvrages et leur date de sortie étaient souvent prises par Le Corbusier lui-même qui en contrôlait ainsi les retombées médiatiques. Une nouvelle génération de traductions relevant d’un engagement critique, apparaîtra après la mort de l’architecte, en 1965. Sous de nombreux angles, l’œuvre écrite de Le Corbusier apparaît aussi complexe que son œuvre architecturale : par la diversité de sa production (livres, revues, pamphlets, recueils de conférences, articles de presse, etc.) ; par le lien si caractéristique entre texte et dessin, essentiel dans la mise en œuvre de sa stratégie de communication ; par les manipulations qu’il effectue sans cesse sur ses textes, en les reprenant pour les réinsérer dans de nouveaux contextes, stratégie délibérée qui produira un effet labyrinthique au sein des différentes éditions et rééditions. La variété de cette production a sans doute favorisé sa diffusion rapide dans différentes langues et même si la question des droits d’auteur a pu freiner certaines traductions, cet argument ne suffirait pas à expliquer le retard pris par l’Italie. Dans le cas de l’Italie, sa diffusion précoce avait sans douté été favorisée par la familiarité avec la langue française des architectes nés à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. La tendance s’inversera dans la seconde moitié des années Quarante.I documenti in IRIS sono protetti da copyright e tutti i diritti sono riservati, salvo diversa indicazione.