A partir des années 1990, les débats internationaux de la géographie, surtout dans les circuits anglo-saxons, ont été fortement influencées par la vague interdisciplinaire des études postcoloniales stimulées par des ouvrages tel que Orientalisme d’Edward Saïd (1978). Ces contributions démontrèrent que les idées de l’Orient qui étaient véhiculées par la littérature, l’art et les débats politiques des époques coloniales participèrent jusqu’à nos jours de l’invention d’un Ailleurs imaginé, alimentant les fantaisies exotiques des publics européens. La création de ces imaginaires était d’ailleurs fonctionnelle à justifier la colonisation européenne des pays « orientaux » et « tropicaux » sur la base d’une présumée supériorité civilisationnelle de l’Occident. En plus, sur les débats des dernières décennies, une grande influence a été exercée par les auteurs de ce que les Anglophones appellent la French Theory, c’est-à-dire des intellectuels comme Michel Foucault, Gilles Deleuze ou Jean-François Lyotard. Interprétées plus ou moins fidèlement, leurs idées ont servi à interpréter et déconstruire les lieux communs de la vieille géographie pour analyser comment les discours géographiques ont été construits de façon souvent raciste et ethnocentrique. On questionna alors la légitimité des clichés généralisant les caractéristiques physiques et psychologiques de chaque « peuple ». Un cas exemplaire de ces généralisations était celui de la prétendue « paresse » des habitants des Tropiques due à l’influence du climat (dit déterminisme géographique ou environnemental), qui est considéré scientifiquement inacceptable aujourd’hui mais qui servit pendant des siècles à justifier la prétende supériorité de l’homme blanc européen sur tous les autres. Parmi les résultats de l’appropriation de ces idées critiques par des géographes, on peut mentionner l’essor des tendances « critiques » et « radicales » dans la discipline, accompagné par un grand travail de recherche dans les archives des sociétés géographiques et coloniales pour dévoiler la complicité de la géographie dans l’œuvre de la colonisation. Ces travaux ont impliqué des véritables autocritique de la part des géographes et d’autres représentant des sciences humaines pour l’usage politique qu’n a fait de leurs savoirs a à l’âge des empires. Des exemples très représentatifs de cette démarche critique, parmi beaucoup d’autres, étaient l’ouvrage de Felix Driver Geography Militant (2001) dans le monde anglophone, et l’ouvrage collective L’Empire des Géographes dirigé par Pierre Singaravélou (2008) dans le monde francophone. En s’inspirant de ce puissant acquis, des nouvelles tendances critiques se sont distinguées dans les dernières années, en se focalisant sur les thèmes des traditions géographiques alternatives, des géographies de la décolonisation et des efforts pour décoloniser la géographie en promouvant l’inclusion à la fois de thématiques plus plurielles et de catégories sociales qui ont été marginalisées par le monde académique.

Décoloniser la géographie, et découvrir des traditions géographiques alternatives

Federico Ferretti
2022

Abstract

A partir des années 1990, les débats internationaux de la géographie, surtout dans les circuits anglo-saxons, ont été fortement influencées par la vague interdisciplinaire des études postcoloniales stimulées par des ouvrages tel que Orientalisme d’Edward Saïd (1978). Ces contributions démontrèrent que les idées de l’Orient qui étaient véhiculées par la littérature, l’art et les débats politiques des époques coloniales participèrent jusqu’à nos jours de l’invention d’un Ailleurs imaginé, alimentant les fantaisies exotiques des publics européens. La création de ces imaginaires était d’ailleurs fonctionnelle à justifier la colonisation européenne des pays « orientaux » et « tropicaux » sur la base d’une présumée supériorité civilisationnelle de l’Occident. En plus, sur les débats des dernières décennies, une grande influence a été exercée par les auteurs de ce que les Anglophones appellent la French Theory, c’est-à-dire des intellectuels comme Michel Foucault, Gilles Deleuze ou Jean-François Lyotard. Interprétées plus ou moins fidèlement, leurs idées ont servi à interpréter et déconstruire les lieux communs de la vieille géographie pour analyser comment les discours géographiques ont été construits de façon souvent raciste et ethnocentrique. On questionna alors la légitimité des clichés généralisant les caractéristiques physiques et psychologiques de chaque « peuple ». Un cas exemplaire de ces généralisations était celui de la prétendue « paresse » des habitants des Tropiques due à l’influence du climat (dit déterminisme géographique ou environnemental), qui est considéré scientifiquement inacceptable aujourd’hui mais qui servit pendant des siècles à justifier la prétende supériorité de l’homme blanc européen sur tous les autres. Parmi les résultats de l’appropriation de ces idées critiques par des géographes, on peut mentionner l’essor des tendances « critiques » et « radicales » dans la discipline, accompagné par un grand travail de recherche dans les archives des sociétés géographiques et coloniales pour dévoiler la complicité de la géographie dans l’œuvre de la colonisation. Ces travaux ont impliqué des véritables autocritique de la part des géographes et d’autres représentant des sciences humaines pour l’usage politique qu’n a fait de leurs savoirs a à l’âge des empires. Des exemples très représentatifs de cette démarche critique, parmi beaucoup d’autres, étaient l’ouvrage de Felix Driver Geography Militant (2001) dans le monde anglophone, et l’ouvrage collective L’Empire des Géographes dirigé par Pierre Singaravélou (2008) dans le monde francophone. En s’inspirant de ce puissant acquis, des nouvelles tendances critiques se sont distinguées dans les dernières années, en se focalisant sur les thèmes des traditions géographiques alternatives, des géographies de la décolonisation et des efforts pour décoloniser la géographie en promouvant l’inclusion à la fois de thématiques plus plurielles et de catégories sociales qui ont été marginalisées par le monde académique.
2022
Géographies du politique
99
104
Federico Ferretti
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