Problème critique de la philosophie cartésienne, le mouvement entre exemplarité et singularité, référence et insouciance, enseignement et récit, "bona mens" et « ma raison, la mienne » agite en effet la pensée de Descartes, autant sensible que Montaigne à l’expérience du doute et aux droits de l’individu que passionné comme lui à la recherche d’une universalité possible en mesure de se définir en exemplarité formelle : la forme universelle de l’héraclitéisme indépassable de la condition humaine selon Montaigne auteur des "Essais", la forme rigoureuse de la connaissance humaine, « semper una & eadem », selon Descartes auteur des "Regulæ". Est-il alors sensé de parler d’exemplarité à propos de la philosophie cartésienne, une philosophie qui ne s’impose comme vraie qu’en vertu des seules actions de la raison, une seule malgré la variété des connaissances et toujours la même, malgré les diversités des œuvres et des jours des hommes ; qui refuse par principe toute imposition d’autorité, tout conformisme de consentement, toute disposition à la soumission, toute contrainte à la révérence ; qui n’exige ni l’admiration des lecteurs ni l’obéissance des disciples, mais qui s’adresse à « ceux qui se servent de leur raison naturelle toute pure », juges des bonnes raisons de la pensée bien plus propres que les doctes et les savants ? La réponse est non, si par exemplarité s’entendent la leçon et l’imposition d’une posture ou d’un modèle qui fait loi à l’action ou à la pensée en vertu de contraintes extérieures à la l’action et à la pensée même : selon la modalité ‘autoritaire’ de l’exemplarité. Mais s'il vrai que la philosophie cartésienne se constitue par principe en dehors de toute exemplarité, il reste néanmoins qu’elle utilise et rejoint des formes d’exemplarité entendue au sens plus ample d’une figure d’universalité issue d’une détermination particulière - la définition kantienne de la "Critique du jugement" n’est pas si loin. Ainsi, peut-on parler d’une exemplarité cartésienne selon une modulation de signifiés du terme et dans une polysémie plus avertie : qui va d’un usage didactique de l’exemple comme illustration d’une théorie, à un emploi rhétorique des résultats obtenus comme confirmation d’une option philosophique, à un sens plus philosophique et strictement cartésien d’une pensée écrite à la première personne mais offerte comme la vraie philosophie de la pensée qui se découvre à la première personne. Ainsi, peut-on définir l’exemplarité cartésienne tantôt dans le sens ‘mineur’ d’une volonté d’exemplification de certaines théories – l’arc en ciel, par exemple, que le Discours huitième des "Météores" présente comme « la matière la plus propre à faire voir comment, par la méthode dont je me sers, on peut venir à des connaissances que ceux dont nous avons les écrits n’ont point eues » -, tantôt dans les sens ‘majeurs’ de la communication de la philosophie, selon une intentionnalité cartésienne qui tient moins de la rhétorique de la persuasion que d’une structure rationnelle exigeant l’unité du domaine de l’affirmation : d’une pensée qui, d’un côté, a renouvelé la problématique philosophique de la recherche de la vérité et qui, de l’autre, ayant tenu son propre pari - pour utiliser une expression de Paul Ricœur -, tient à en exposer les acquis comme vrais et universels : que ce soit l’offre d’une méthode singulière comme science universelle, selon le titre originaire du "Discours" ; que ce soit la composition des "Essais", des traités qui contiennent les résultats d’un travail scientifique exécuté dans un contexte déterminé, mais qui sont proposés à la fois comme confirmation, preuve et exemple des acquis d’une raison bien conduite ; que ce soit la méthode analytique et le genre littéraire des "Méditations", à la fois exercice métaphysique et philosophèmes, invention et ostension de l’itinéraire de l’invention, « vraie voie par laquelle une chose a été méthodiquement inventée », « en sorte que, si le lecteur la veut su...

"La vie retirée" de Descartes: entre exemplarité et singularité

SPALLANZANI, MARIAFRANCA
2010

Abstract

Problème critique de la philosophie cartésienne, le mouvement entre exemplarité et singularité, référence et insouciance, enseignement et récit, "bona mens" et « ma raison, la mienne » agite en effet la pensée de Descartes, autant sensible que Montaigne à l’expérience du doute et aux droits de l’individu que passionné comme lui à la recherche d’une universalité possible en mesure de se définir en exemplarité formelle : la forme universelle de l’héraclitéisme indépassable de la condition humaine selon Montaigne auteur des "Essais", la forme rigoureuse de la connaissance humaine, « semper una & eadem », selon Descartes auteur des "Regulæ". Est-il alors sensé de parler d’exemplarité à propos de la philosophie cartésienne, une philosophie qui ne s’impose comme vraie qu’en vertu des seules actions de la raison, une seule malgré la variété des connaissances et toujours la même, malgré les diversités des œuvres et des jours des hommes ; qui refuse par principe toute imposition d’autorité, tout conformisme de consentement, toute disposition à la soumission, toute contrainte à la révérence ; qui n’exige ni l’admiration des lecteurs ni l’obéissance des disciples, mais qui s’adresse à « ceux qui se servent de leur raison naturelle toute pure », juges des bonnes raisons de la pensée bien plus propres que les doctes et les savants ? La réponse est non, si par exemplarité s’entendent la leçon et l’imposition d’une posture ou d’un modèle qui fait loi à l’action ou à la pensée en vertu de contraintes extérieures à la l’action et à la pensée même : selon la modalité ‘autoritaire’ de l’exemplarité. Mais s'il vrai que la philosophie cartésienne se constitue par principe en dehors de toute exemplarité, il reste néanmoins qu’elle utilise et rejoint des formes d’exemplarité entendue au sens plus ample d’une figure d’universalité issue d’une détermination particulière - la définition kantienne de la "Critique du jugement" n’est pas si loin. Ainsi, peut-on parler d’une exemplarité cartésienne selon une modulation de signifiés du terme et dans une polysémie plus avertie : qui va d’un usage didactique de l’exemple comme illustration d’une théorie, à un emploi rhétorique des résultats obtenus comme confirmation d’une option philosophique, à un sens plus philosophique et strictement cartésien d’une pensée écrite à la première personne mais offerte comme la vraie philosophie de la pensée qui se découvre à la première personne. Ainsi, peut-on définir l’exemplarité cartésienne tantôt dans le sens ‘mineur’ d’une volonté d’exemplification de certaines théories – l’arc en ciel, par exemple, que le Discours huitième des "Météores" présente comme « la matière la plus propre à faire voir comment, par la méthode dont je me sers, on peut venir à des connaissances que ceux dont nous avons les écrits n’ont point eues » -, tantôt dans les sens ‘majeurs’ de la communication de la philosophie, selon une intentionnalité cartésienne qui tient moins de la rhétorique de la persuasion que d’une structure rationnelle exigeant l’unité du domaine de l’affirmation : d’une pensée qui, d’un côté, a renouvelé la problématique philosophique de la recherche de la vérité et qui, de l’autre, ayant tenu son propre pari - pour utiliser une expression de Paul Ricœur -, tient à en exposer les acquis comme vrais et universels : que ce soit l’offre d’une méthode singulière comme science universelle, selon le titre originaire du "Discours" ; que ce soit la composition des "Essais", des traités qui contiennent les résultats d’un travail scientifique exécuté dans un contexte déterminé, mais qui sont proposés à la fois comme confirmation, preuve et exemple des acquis d’une raison bien conduite ; que ce soit la méthode analytique et le genre littéraire des "Méditations", à la fois exercice métaphysique et philosophèmes, invention et ostension de l’itinéraire de l’invention, « vraie voie par laquelle une chose a été méthodiquement inventée », « en sorte que, si le lecteur la veut su...
2010
Le Rire ou le Modèle? Le Dilemme du moraliste
273
302
M. Spallanzani
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