L’article mesure la distance entre deux systèmes d’ordre : le système de la dentelle évoqué par Descartes dans la Regula IX et le système de la « machine à bas » exposé par Diderot à l’article Bas de l’Encyclopédie. Logique strictement impérative de la machine, d’une part : par le jeu calculé de ses ressorts, le « métier pour faire les bas » ne peut exécuter qu’un seul produit déterminé, les bas, et ne peut le produire que selon une procédure fixe. De l’autre, logique ouverte de la dentelle : par la combinaison ordonnée des points, la main de la dentellière compose les broderies infinies d’un art de la raison. Dans la Regula IX Descartes avait évoqué le paradigme formel de la dentelle et de la tapisserie, schéma d’ordre ouvrant à des chaînes infinies soumises au seul ordre des axiomes. Il avait vu à l’œuvre dans l’art des dentellières les vertus philosophiques de perspicacité et de sagacité des artisans qui sont capables, à partir de l’alphabet des points, de composer d’innombrables et magnifiques dessins, tous cohérents mais tous différents. En n’obéissant qu’au geste euclidien de suivre les seules règles de la déduction et la logique des enchaînements exacts. Systèmes purement formels, la dentelle et la tapisserie offrent l’image de l’exercice méthodique d’une main et d’une raison exécutant la syntaxe des innombrables chaînes de broderies possibles. Suivant les règles de l’inférence, la main intelligente de la dentellière dirige elle-même les fils de la composition comme une raison attentive qui dicterait l’ordre de la déduction. Système mécanique destiné à suppléer les ressources des activités humaines, le métier pour faire des bas est au contraire un ensemble coordonné de pièces destinées à exécuter chacune un rôle articulé au sein d’une procédure particulière d’actions en vue d’un résultat final : le produit. C’est bien le produit qui, parce qu’il est le but de l’art, dicte la syntaxe des opérations que la main aveugle de l’ouvrier n’aura qu’à seconder. En Hollande, Descartes, parmi les dentellières du siècle d’or, pense à un système canonique formel : il songe aux séries infinies de broderies admirables que la précision de la main dirigée par l’attention de l’esprit peut exécuter comme les pièces précieuses d’un art universel de l’ordre. Diderot, dans les ateliers de Paris, dans la boutique de Barras - « Diderot a fait monter et démonter ce métier plusieurs fois devant lui par M. Barras, ouvrier excellent dans son genre » -, pense à un programme- machine obéissant à une syntaxe procédurale et capable de produire automatiquement et en série un objet déterminé.

Métamorphoses de l’ordre. Les dentelles du philosophe et le métier à bas de l’encyclopédiste

SPALLANZANI, MARIAFRANCA
2010

Abstract

L’article mesure la distance entre deux systèmes d’ordre : le système de la dentelle évoqué par Descartes dans la Regula IX et le système de la « machine à bas » exposé par Diderot à l’article Bas de l’Encyclopédie. Logique strictement impérative de la machine, d’une part : par le jeu calculé de ses ressorts, le « métier pour faire les bas » ne peut exécuter qu’un seul produit déterminé, les bas, et ne peut le produire que selon une procédure fixe. De l’autre, logique ouverte de la dentelle : par la combinaison ordonnée des points, la main de la dentellière compose les broderies infinies d’un art de la raison. Dans la Regula IX Descartes avait évoqué le paradigme formel de la dentelle et de la tapisserie, schéma d’ordre ouvrant à des chaînes infinies soumises au seul ordre des axiomes. Il avait vu à l’œuvre dans l’art des dentellières les vertus philosophiques de perspicacité et de sagacité des artisans qui sont capables, à partir de l’alphabet des points, de composer d’innombrables et magnifiques dessins, tous cohérents mais tous différents. En n’obéissant qu’au geste euclidien de suivre les seules règles de la déduction et la logique des enchaînements exacts. Systèmes purement formels, la dentelle et la tapisserie offrent l’image de l’exercice méthodique d’une main et d’une raison exécutant la syntaxe des innombrables chaînes de broderies possibles. Suivant les règles de l’inférence, la main intelligente de la dentellière dirige elle-même les fils de la composition comme une raison attentive qui dicterait l’ordre de la déduction. Système mécanique destiné à suppléer les ressources des activités humaines, le métier pour faire des bas est au contraire un ensemble coordonné de pièces destinées à exécuter chacune un rôle articulé au sein d’une procédure particulière d’actions en vue d’un résultat final : le produit. C’est bien le produit qui, parce qu’il est le but de l’art, dicte la syntaxe des opérations que la main aveugle de l’ouvrier n’aura qu’à seconder. En Hollande, Descartes, parmi les dentellières du siècle d’or, pense à un système canonique formel : il songe aux séries infinies de broderies admirables que la précision de la main dirigée par l’attention de l’esprit peut exécuter comme les pièces précieuses d’un art universel de l’ordre. Diderot, dans les ateliers de Paris, dans la boutique de Barras - « Diderot a fait monter et démonter ce métier plusieurs fois devant lui par M. Barras, ouvrier excellent dans son genre » -, pense à un programme- machine obéissant à une syntaxe procédurale et capable de produire automatiquement et en série un objet déterminé.
2010
Métamorphose(s)
175
195
M. Spallanzani
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